Le 5 septembre dans un édito intitulé « Enseigner doit devenir un métier comme un autre » le Vif menait une charge brutale contre le métier d’enseignant. Il en faut pourtant peu pour ne pas tomber dans le piège néolibéral. Voici, à peu de frais, l’édito revu et corrigé !
Ce sera tout l’enjeu de la réforme de l’enseignement: offrir une nouvelle dimension au métier d’enseignant. Pour qu’il ne devienne pas un métier comme un autre.
«Un coup de poignard dans le dos», «une provocation», «on touche à l’essence de la fonction publique». Les syndicats (les enseignants !) n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer le projet de réforme de l’enseignement exposé dans la Déclaration de politique communautaire (DPC) de la Fédération Wallonie-Bruxelles. «On ne prend pas en compte nos préoccupations», renchérissent les jeunes profs qui enchaînent contrats temporaires et périodes de remplacement. «Il faut améliorer le niveau de notre enseignement et régler le problème de pénurie», avance la coalition Azur. Les avis tranchés se complètent augurant des discussions fécondes en salle des profs et espérons-le, comme dans le panel que la ministre de l’Education, Valérie Glatigny (MR), veut installer pour traduire en mesures concrètes les déclarations d’intention. Et surtout, ne pas faire du métier d’enseignant un métier comme les autres. Car c’est bien là l’un des objectifs poursuivis par les statuts que cette réforme majeure voudrait anéantir.
La coalition précédente avait déjà posé un premier jalon en ce sens, en tentant d’instaurer un processus d’évaluation du corps enseignant qui avait suscité levées de boucliers et grèves régulières. Pourtant, si comme tout travailleur qui exerce son métier dans un cadre défini l’enseignant pouvait depuis toujours être évalué sur ses prestations, il doit désormais craindre l’arbitraire ou le copinage qui en découlera. Et quand sa pratique professionnelle faisait l’objet d’un bilan, c’était pour mesurer ses réalisations dans une approche qui prenait en compte des objectifs collectifs et individuels fixés entre pairs et de commun accord. Alors qu’à présent, parce que le résultat de cette évaluation peut se traduire non seulement en formations, mais aussi en sanctions comme dans la plupart des métiers du secteur privé, les enseignants se retrouvent rétrogradés au rang d’exécutants et dépossédés de leur liberté pédagogique sans jamais pouvoir espérer une quelconque gratification.
«Ce serait l’enjeu d’une réforme: offrir une réelle valorisation au métier d’enseignant.»
Aujourd’hui, c’est la perspective de voir le processus de nomination passer à la trappe qui suscite le plus d’opposition dans les rangs syndicaux et parmi les enseignants, argumentant notamment que le «dernier avantage de la fonction» disparaîtrait et que l’attractivité du métier en pâtirait. En effet, pourquoi un contrat à durée indéterminée ne serait-il pas à rejeter puisqu’il ne permettra pas d’offrir plus rapidement un emploi stable à une jeune recrue prometteuse (alors que ce serait possible en renforçant les statuts) ? Puisqu’il ne pourra gommer les inégalités actuelles de traitement qu’en créant de l’instabilité pour tous? Puisque seuls les statuts permettent de rendre plus transparents les critères d’accessibilité à un temps plein et les critères qui permettent de rompre un contrat qui lie un travailleur à son employeur en cas de manquements ou de dysfonctionnements? Comme dans la plupart des autres fonctions valorisées parce qu’elles exigent des grandes compétences.
A ces interrogations, les partisans de la revalorisation du métier d’enseignant réaffirmeront que la fonction publique répond à d’autres règles que le secteur privé. Que la pénibilité et la complexité du travail justifie ces droits acquis et la stabilité gagnée grâce au statut. Dès lors pourquoi ne pas objectiver cette pénibilité et cette complexité ? Pourquoi ne pas gratifier davantage les enseignants, dont les qualifications sont particulièrement recherchées ? Pourquoi ne pas récompenser justement la motivation ou l’implication de toute une profession plutôt que de la stigmatiser parce qu’elle offre de réelles possibilités de carrière ? Comme tout autre métier de service public.
Ce sera tout l’enjeu de ce chantier potentiellement explosif : offrir une réelle revalorisation au métier d’enseignant ou succomber à la tentation de faire des écoles, des entreprises comme les autres. Ce sera aussi tout la difficulté de cette indispensable réforme: le faire dans une Fédération Wallonie-Bruxelles financièrement exsangue.