Les négociations en vue de former un gouvernement sont toujours en cours. Ce sera l’Arizona ? On ne le sait toujours pas. Ce que l’on sait par contre, c’est que ce qu’il en résultera vous fera mal. Il y a plusieurs semaines, le contenu d’une note rédigée par Bart De Wever a fuité. Celle-ci servait de contexte de base au début des négociations en vue d’obtenir un accord de gouvernement. Au menu ? Des attaques sur tous les fronts : plus de flexibilité, plus de précarité, des attaques contre nos droits et nos acquis sociaux, contre le financement de notre pays et contre notre sécurité sociale. Certaines de ces mesures ont été présentées comme bénéfiques : des cadeaux pour les travailleurs, notamment du salaire net en plus. Largement de la poudre aux yeux : il n’en restera pas grand-chose. À travers ces mesures, c’est intégralement aux employeurs et aux plus nantis que les politiques font plaisir. Pour les autres, qui que vous soyez – travailleur, malade, pensionné, demandeur d’emploi… –, préparez-vous à souffrir.
Une droite sans tabous, qui ose tout
Les résultats des élections de juin avaient déjà donné le ton : à droite toute ! Raz-de-marée en Wallonie, statu quo en Flandre, situation plus mitigée à Bruxelles, mais avec toujours une constante, la difficulté d’avoir des majorités dans lesquelles les partis progressistes sont en suffisance pour avoir un impact solide. La gauche rame et il faut se demander quel sera son poids réel dans les futures majorités qui seront formées, ainsi que l’opportunité d’y être ou pas. Les élections communales du 13 octobre prochain apporteront peut-être leur lot de surprises, dans un sens ou un autre. Quoi qu’il en soit, à n’en pas douter, les résultats des communales auront eux aussi un impact sur la formation du futur gouvernement.
L’objectif derrière les propositions de De Wever-Bouchez ? Trouver 27 milliards d’euros pour respecter les diktats budgétaires imposés par l’Europe, à travers la mise en œuvre de nouvelles recettes et de dépenses en moins. Ces nouvelles politiques devraient ainsi permettre d’avoir des « effets retour » et d’engranger de l’argent sur les finances de l’État. Une « super » note (qui n’a de super que le nom) complètement décomplexée, hyper à droite et qui vise tous les acteurs de la société, sur tous les fronts. C’est d’abord une attaque contre ceux qui travaillent, contre le pouvoir d’achat, les malades, la concertation sociale et les travailleurs protégés. C’est une réforme fiscale qui va protéger les plus nantis. C’est ensuite une attaque contre les services publics, contre la sécurité sociale, contre les pensionnés, contre les chômeurs, contre les migrants.
La N-VA a toujours dit qu’elle voulait une réforme institutionnelle. À travers les mesures socio-économiques reprises dans cette note, elle n’en a plus besoin car celles-ci mèneront dans les faits au même résultat. Il faut également souligner qu’il s’agit d’une liste de mesures qui vont pleinement satisfaire toutes les envies des employeurs. Tout ce dont ils ont toujours rêvé dans leurs fantasmes les plus fous, Bart De Wever le leur offre sur un plateau : jouissance suprême !
Faire mal aux travailleurs
L’objectif : flexibilité, flexibilité, flexibilité du marché du travail. La note veut par exemple s’aligner sur la référence européenne en matière de durée de travail, à savoir 48h/semaine sur une période de 4 mois et annualiser le temps de travail ou encore ne plus avoir de temps de travail minimum journalier. On fait ainsi un bond en arrière en rallongeant la durée de travail, là où il y a 50 ans, nous nous étions battus pour la diminuer. On laisse également au travailleur la « liberté » de choisir lui-même sa durée de travail, sans qu’une CCT ne soit nécessaire. Sans encadrement, quelle sera à l’avenir la liberté réelle du travailleur face à l’employeur et à ses demandes ? Et avec quelles dérives ?
Les jours où l’on peut travailler seraient également remis en cause puisque la note prévoit la possibilité pour n’importe quel employeur d’organiser du travail la nuit, le dimanche et les jours fériés. Dans le commerce, les heures d’ouverture seraient encore assouplies et le jour de fermeture obligatoire ne serait plus indispensable.
Il serait également possible de prester plus d’heures supplémentaires : jusqu’à 360 heures par an (soit environ jusqu’à 8h en plus par semaine), sans sursalaire ni repos compensatoire, mais payées en brut pour net. Une aubaine surtout pour les patrons, puisque ces prestations seraient exemptes de cotisations ONSS et non soumises à la fiscalité. À l’avenir, un travailleur à temps plein pourrait donc coûter moins cher en heures sup qu’un travailleur à temps partiel à qui on pourrait offrir des heures complémentaires, temps partiels qui sont majoritairement des femmes !
Enfin, les flexi-jobs seraient également élargis à de nouveaux secteurs et avec de nouvelles conditions en termes de salaires et plafonds. Des sous-contrats, sur lesquels les employeurs ne cotisent pas pour la sécurité sociale, qui mettent à mal les autres contrats et créent une concurrence déloyale avec les autres travailleurs. Idem pour les étudiants, dont le quota d’heures serait élargi et dont le plafond fiscal serait supprimé !
Toutes ces grandes réformes devraient permettre d’augmenter le taux d’emploi, c’est ce que les politiques nous disent. Or, ce sont des mesures qui visent les gens qui sont déjà au travail. Pas ceux qui cherchent de l’emploi, ceux-là resteront sur le bord du chemin… C’est donc un non-sens. Ils ratent la cible, qui est de créer de nouveaux emplois, mais en profitent pour rendre le marché du travail encore plus malléable. Il s’agit dans leur vision libérale de produire toujours plus, en rendant le travail moins cher.
Faire mal aux malades
C’est le grand retour de la chasse aux malades, avec un leitmotiv : réintroduction du jour de carence (pas de salaire le premier jour de maladie), droit au salaire garanti reconstitué seulement après 12 semaines de prestations effectives (au lieu de 14 jours actuellement),responsabilisation des acteurs et sanctions à tous les étages. Tout y passe : plan de prévention et de réintégration des malades de longue durée dans toutes les entreprises, parcours de réintégration dès le premier jour de maladie, suppression des 3 fois un jour de maladie sans certificat (pourtant une décision politique très récente), réévaluation régulière du droit aux indemnités pour les malades de longue durée et sanctions en cas de non-coopération, le certificat médical devient un certificat d’aptitude où l’on jugera dorénavant ce que vous êtes capable de faire selon votre état. Face à l’arbitraire de certains employeurs, bonne chance à l’avenir aux travailleurs malades, quels qu’ils soient. Qu’il s’agisse de problèmes de santé mineurs ou plus graves, chacun sera touché. Personne ne peut prédire son état de santé.
Faire mal aux pensionnés et à ceux qui sont en passe d’accéder à la pension
L’idée ? On récompense ceux qui travaillent au-delà de la pension et dans le même temps, on durcit les règles et on pénalise ceux qui veulent décélérer en fin de carrière ou partir en pension anticipée. À terme, il n’y aurait plus de RCC ni de systèmes de fins de carrière, les conditions de carrière seraient relevées à 35 années effectives pour pouvoir accéder à la pension minimum et certaines périodes assimilées ne compteraient plus (comme les RCC ou les périodes de chômage de longue durée). Comme pour les mesures de flexibilité, ce sont à nouveau les femmes qui seraient majoritairement touchées par ces mesures car il s’agit d’un groupe dont on sait qu’il se retrouve plus souvent avec des carrières incomplètes (contrats précaires à temps partiel, pauses carrière, etc.)
Faire mal à la concertation sociale
Les principes mêmes de la concertation sociale, tout comme leurs représentants, sont attaqués de plein fouet. La note de base de De Wever laisse la possibilité de conclure de nombreux accords individuels en entreprise (notamment sur la durée de travail) ainsi que des accords d’entreprise dérogatoires aux accords plus globaux (comme les accords sectoriels par exemple). Ils inverseraient ainsi la pyramide de la concertation sociale. La protection des délégués est également remise en cause.
Faire mal aux chômeurs
C’est l’un de leurs chevaux de bataille et bien évidemment, la note De Wever-Bouchez ne passe pas à côté. Elle prévoit de s’attaquer lourdement aux chômeurs, ces « profiteurs » du système, en limitant les allocations de chômage à deux ans. Une fois exclus, ceux-ci seraient alors pris en charge par les CPAS. Les études démontrent pourtant que la limitation des allocations de chômage est inefficace sur la remise à l’emploi. Il s’agit là d’une manière habile de régionaliser un pan entier de la sécurité sociale et de transférer toute la charge financière vers les communes et les CPAS. Quiconque ne trouve pas d'emploi et ne perçoit pas d'allocations devra alors se tourner vers le CPAS pour survivre. Au passage, rien dans la note concernant la création d’emploi. Seconde attaque contre les chômeurs : on va fiscaliser davantage leurs allocations, limiter de fait leur accès aux crèches. Bref, De Wever part du principe que pour améliorer le sort des travailleurs, il faut mettre les chômeurs plus bas que terre. Ce n’est évidemment pas en diminuant les allocations de chômage, voire en excluant certains chômeurs, que ceux-ci vont retrouver de l’emploi. Que du contraire, ce genre de politiques mène à des pressions à la baisse sur les salaires eux-mêmes. Ce ne sont pas les syndicats qui le disent, ce sont des études indépendantes et scientifiques qui ne peuvent être taxées de gauchisantes !
Réforme fiscale : va-t-elle vous faire du bien?
Parmi les mesures envisagées est prévue une grande réforme fiscale, vendue comme un cadeau pour les travailleurs. Les salaires nets seraient augmentés à partir de janvier 2025 et la quotité exemptée d’impôts (la première tranche de revenus qui n’est pas soumise à imposition) le serait également pour tout travailleur qui gagne au minimum € 1.750/mois. Augmenter ses revenus, tout bénéfice, non ? Dans les faits, c'est une bonne nouvelle. Nous sommes bien évidemment pour le principe d’augmenter les petits et moyens salaires et pour la réintroduction de la progressivité de l’impôt. L’impôt juste est un impôt progressif ! Donc les mesures qui visent à rétablir cette progressivité sont bonnes. Mais le problème avec ces mesures est que les revenus plus élevés bénéficient proportionnellement davantage de la mesure que les revenus faibles et moyens. Et ce sont les finances de l’État qui vont payer cette réforme – 10,2 milliards d'euros au total. N’aurait-il pas mieux valu se focaliser sur ceux qui en ont le plus besoin ? Faut-il à nouveau accorder des avantages en plus à ceux qui gagnent déjà beaucoup ? D’autres réformes fiscales comme l’élargissement de la tranche de 25% ratent également la cible des plus petits portefeuilles (par petit salaire, on entend +/- € 1.700). C’est une mesure qui toucherait partiellement la classe moyenne, mais ceux qui vont en bénéficier le plus parce qu’ils y auront accès, ce sont à nouveau les plus gros salaires (qui touchent +/- € 5.000). Pour financer tout cela, les politiques veulent mettre en œuvre des modifications de TVA, une manipulation de l’indexation des salaires ou encore réduire les dépenses dans les services publics… Ce que l’on vous donne d’une main, on vous le reprendra de l’autre… Bref, vraiment gagnant ? Oui, si vous faites partie des travailleurs qui gagnent plus de € 10.000 par mois ! En pratique donc, pour bon nombre de travailleurs, c’est une réforme qui va coûter plus que ce qu’elle ne va rapporter. En résumé, le principe est bon mais il faut introduire des plafonds de rémunération pour les bénéficiaires de cette réforme (ex. : plafonner la réforme en ne l’appliquant qu’aux personnes qui gagnent moins de € 5.000 bruts/mois), ajouter des tranches d’impôt sur les plus gros revenus et introduire des taxes sur le capital et/ou les plus-values de manière à aller chercher l’argent là où il est et où il échappe trop souvent à l’impôt.
Avec les employeurs et les plus nantis, un jeu pervers
L’énumération des mesures évoquées ci-dessus est loin d’être complète. C’est un aperçu des points les plus ravageurs de cette fameuse note d’intention. Cela donne une idée du petit jeu pervers dans lequel nous nous trouvons. Les politiques de droite sont aux portes du pouvoir et sont en train de faire pression pour donner vie aux désirs les plus profonds des employeurs. À eux, on ne leur demande rien. On leur donne. À aucun moment, il n’y a de responsabilisation des employeurs. Fiscalement, on les gâte, tout comme les plus nantis.
L’avenir est encore incertain et nous ne savons pas quand nous aurons un gouvernement. Peut-être qu’en fonction des négociations et de ceux qui seront autour de la table, on parviendra à sortir ou à adoucir certaines mesures. Mais vu l’énormité de laquelle on part avec cette note de base, il est certain qu’il en restera des pans. Et ce sera déjà bien trop. Travailleurs, malades, syndicalistes, pensionnés, chômeurs, femmes, citoyens… personne ne sera épargné.
Un autre monde est-il possible et est-il payable ? Oui !
On reproche souvent aux organisations syndicales de dire non à tout… Nous ne disons non qu’aux mesures qui sont défavorables aux plus faibles, aux plus précarisés.
Nous voulons un monde où le progrès social est pour tous et où chacun a accès à un emploi de qualité ! C’est-à-dire un emploi qui lui permette de vivre aisément financièrement, où la flexibilité est encadrée et permet un épanouissement via un équilibre vie privé-vie professionnelle. Où chaque femme ne doit pas faire le deuil d’un emploi (ou d’un temps plein) parce que les crèches sont trop chères par rapport à son salaire ou tout simplement inaccessibles.
Nous voulons un monde où l’on ne sanctionne pas les malades, où l’on permet de décélérer en fin de carrière en lieu et place de s’épuiser jusqu’à en tomber malade.
Nous voulons un monde où les pensions permettent de vivre et pas juste de survivre.
Nous voulons une sécurité sociale forte, fédérale et solidaire et qui réponde aux nouveaux besoins en début et fin de vie. Nous voulons des services publics de qualité, accessibles, une égalité de droit, la possibilité pour tous d’étudier et d’accéder à un bon job.
Impayable, nous direz-vous ? Non, voici quelques exemples :
- La réforme fiscale va coûter 10 milliards aux caisses de l’État. Ajouter une tranche d’imposition à 52,5% rapporterait 2 milliards. Est-ce que les plus hauts revenus doivent bénéficier de la réforme fiscale pour plus de net ou bien doivent-ils payer juste un peu plus ? Pour un salaire de €10.000 bruts par mois, cela représenterait une hausse de la fiscalité de €411,92 par an. Le principe d’augmenter les plus petits et moyens salaires est essentiel, tout comme restaurer une plus grande progressivité de l’impôt. Tout le monde est d’accord avec cela, mais pas sur les moyens pour y arriver. On peut très bien réaliser cela en plafonnant les salaires auxquels cette réforme est applicable. De cette manière, on atteint la cible sans que cela coûte trop aux finances publiques. Ensuite, « on ne rase pas gratis », il faut financer cette réforme, et pas sur le dos des petits ! Pour le solde du financement, pas de manipulation de l‘index ou de hausse de TVA, mais une taxation sur le capital et/ou sur les plus-values ou encore une meilleure lutte contre la fraude fiscale. Une réforme fiscale, oui, mais juste !
- 10 milliards de réductions ONSS par an sont allouées de manière inconditionnelle aux entreprises. Trop souvent, cela repart directement dans la poche des actionnaires sans jamais avoir créé un emploi. Et si on conditionnait ces aides à la création effective d’emplois ?
- Si on permettait aux travailleurs les plus âgés de continuer à partir en RCC, cela ne coûterait pas plus cher que de les voir finir leur carrière en étant suspectés d’être des malades « imaginaires ».
- Si on investissait réellement dans des outils publics de formation plutôt que des outplacements privés très chers, cela permettrait plus de formations pour des budgets moindres… Bref, de meilleurs reclassements et de fait, des rentrées pour la sécu et la fiscalité.
Pourquoi ne limiterait-on pas les sous-statuts (étudiants, flexi-jobs…) payés via des rémunérations nettes qui pénalisent notre sécu et nos services publics (enseignements, hôpitaux…) ? - Et si l’Europe faisait comme le reste du monde : investir plutôt que de se tirer une balle dans le pied en s’imposant une austérité de son propre chef ? Vous pensez que les USA, la Chine, l’Inde ou le Japon se soucient de leur dette publique ? Pendant ce temps-là, en Europe, on joue l’orthodoxie budgétaire… Dans une économie mondialisée, cela a peu de sens, mais entre-temps, ce sont les travailleurs et allocataires sociaux qui paient la note !
Alors oui, un autre monde est possible sans populisme et de manière rationnelle. Investir dans l’humain en lieu en place des géants de la technologie. Une meilleure répartition des richesses est possible et vitale !
Restez à l’écoute et consultez régulièrement notre site web et nos réseaux sociaux. Tout au long des prochaines semaines, nous mettrons le focus sur tous les thèmes abordés dans cet article et vous expliquerons en détail pourquoi ce gouvernement vous fera mal. À travers des infos simples et vulgarisées, nous mettrons en place une grande campagne d’information pour expliquer tout ce que vous devez savoir sur les enjeux politiques et les menaces qui pèsent sur vous, vos droits et votre avenir. N’hésitez pas non plus à lire le numéro spécial du journal Syndicats « Antisocial », spécialement consacré au sujet.